Jérôme Garcin examine à la loupe le parcours de l’intelligentsia entre 1939 et 1945.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la littérature avait tant d’audience que l’ambassadeur du Reich, Otto Abetz, déclara : « Il y a trois puissances en France : la banque, le Parti communiste et la N.R.F. » Jérôme Garcin présente le panorama de la vie littéraire française de cette époque sans s’habiller de l’hermine que revêtirent les membres du CNE, le Comité national des écrivains qu’on pourrait plus sûrement appeler le Comité national d’épuration tant on y pratiqua une justice à la tête du client. A preuve, l’exécution de Robert Brasillach (1909-1945) fusillé, dit-on, parce que le général de Gaulle ne supporta pas de le voir habillé en uniforme allemand… alors qu’en fait le personnage qu’on lui désigna sur un cliché était Jacques Doriot, l’ex communiste devenu pro-nazi. Bien sûr, Brasillach n’était pas un enfant de chœur : ses thuriféraires rappelaient qu’il souhaitait qu’on ne se séparât pas les enfants juifs de leur mère pour ne pas les priver de l’amour maternel alors qu’il voulait surtout que les trains emportent le plus possible de Juifs vers les camps de concentration. Colette et Albert Camus ont signé la pétition contre la peine de mort qui menaçait Brasillach, jugé en cinq heures, mais l’auteur de Comme le temps passe (1937) fut passé par les armes. De Gaulle voulait que les écrivains fussent responsables de leurs écrits. Les livres de Céline, par exemple, avaient beaucoup de poids sur les lecteurs. Quant à Paul Eluard, il nous prouve qu’il faut aussi se méfier des écrivains puisqu’il a écrit Liberté (1942) et Ode à Staline (1950)…
Si le pacifiste Jean Giono fut emprisonné, à tort, d’autres ont été protégés, tels Jacques Chardonne et Paul Morand qui sont morts dans leur lit. Peu ont décidé de ne rien publier sous l’Occupation comme René Char et Emmanuel Bove. André Malraux lui insista pour que L’Etranger d’Albert Camus paraisse en 1942 chez Gallimard propriétaire de la N.R.F qui fut dirigé sous l’Occupation par Pierre Drieu la Rochelle… pendant que Jean Paulhan était dans un proche bureau. Drieu, intervint auprès d’Otto Abetz, pour faire libérer Paulhan tout comme Sacha Guitry vint à l’aide de Tristan Bernard. On reprocha à Guitry d’avoir poursuivi sa carrière avec les Allemands présents dans la capitale mais il avait la conscience tranquille d’un boulanger qui dans le même temps faisait du pain. Jean-Paul Sartre, lui, ne risqua rien alors qu’il fit jouer sa pièce Les Mouches avec une distribution sans Juif, et des nazis assis aux premières loges du théâtre Sarah Bernhardt rebaptisé théâtre de la Cité. Dans Des mots et des actes, on note la belle présence de Jean Prévost (1901-1944), l’honneur de la littérature française assassiné dans le Vercors. Au lieu d’aller se recueillir sur la tombe du héros, son biographe s’active à remettre l’auteur des Frères Bouquinquant (1930) en pleine lumière. Le vrai tombeau de Jean Prévost c’est son œuvre. Jérôme Garcin fait office d’Aladin pour la restituer.
-Des mots et des actes. Les belles-lettres sous l’Occupation, Jérôme Garcin. Gallimard, 168 p., 18, 50 €
Et aussi : Génération 1919. Dépositions d'écrivains en devenir. Pierre Bost, André Chamson, Jean Prévost. Textes réunis et présentés par Emmanuel Bulteau et François Ouellet. La Thébaïde, 152 p., 18 €
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