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Le dernier hiver de Gérard Philipe, par Jérôme Garcin

Gérard Philipe (1922-1959) est mort à 36 ans. Sa lumière naturelle nous parvient toujours. Bien plus forte que celle des néons de la notoriété factice. Ce virtuose des planches, du langage, de l'art dramatique refusait de toucher plus d'argent qu'un autre comédien de la groupe. On est loin du salaire des milliardaires du football, sport collectif !




Quand l'as du théâtre est mort, Jean Vilar, les larmes dans la voix a déclaré:

-"La mort a frappé haut".

On ne pouvait pas mieux dire, en si peu de mots.

Pour Jérôme Garcin, la littérature est un moyen de sauver les morts de l’oubli. Il n’est pas aimanté par les cimetières qui sont surtout des lieux pour les vivants. L’écrivain est le véritable tombeau de ses chers disparus dont il est en deuil perpétuel. A l’opposé d’un croque-mort, il ressuscite ceux qu’il continue d’aimer dans des livres qui deviennent des cercueils portatifs. Ennemi du pathos et des larmoiements, il fait revivre les absents qui n’apparaissent pas comme des trophées empaillés tels ceux des chasseurs qui fanfaronnent. Parmi les sauvés de notre indifférence, il y a son père («La chute de cheval», 1998) et son frère («Olivier», 2011). Sa nouvelle oraison funèbre concerne derechef le cercle familial avec une ode à Gérard Philipe, le père de la mère de ses trois enfants. Pas une seule fois, le pudique mémorialiste ne signale le lien posthume qui le lie au plus doué des jeunes premiers du XXe siècle. Pas question de pimenter son récit pour appâter le lecteur. Gérard Philipe, lui-même, a prévenu que sa vie privée n’appartenait qu’à lui.

Evitant l’écueil de la biographie, Jérôme Garcin raconte les derniers instants du comédien qui meurt, à trente-six ans, sans savoir que son médecin a déclenché l’atroce compte à rebours. A partir du 5 novembre 1959, Garcin restitue, jour par jour, la fin de vie du comédien qui entrait sur scène quand les autres ne font qu’y monter. Sa présence touchait les spectateurs car il mettait son âme sur les planches et sur les plateaux de cinéma. La grâce irradiait de tout son être. Le public aux mille visages était sous le charme de l’artiste, de sa gestuelle, du total don de lui-même et de sa sublime voix riche d’innombrables émotions, de la gaieté à l’extrême détresse. Conscient qu’un comédien ne peut être reconnu qu’en activité, Gérard Philipe s’est «tué» au travail dans une lutte contre l’éphémère: au cours de la décennie 1950, il a porté sur ses épaules trente films et seize pièces !

Son exigence était telle qu’il ne participa qu’à une seule campagne publicitaire pour faire l’éloge de la lecture : «Dévorez des livres». Sur l’affiche, il les dévore à belles dents. Jérôme Garcin a mûri cet hommage pendant des années comme on prend soin de la flamme d’une bougie qui menace de s’éteindre. La lumière du phare de l’art dramatique apparait dans chaque page de ce très grand livre d’amour. Atteint d’un mal incurable en été 1959 - cancer foudroyant du foi- Gérard Philipe passe quinze jours en clinique avant de mourir à son domicile parisien, le 25 novembre 1959, alors que sa femme, Anne, accompagnait leurs enfants à l’école. Il meurt seul, mais grâce à Jérôme Garcin, nous sommes dans la chambre lors de l’ultime souffle du Cid, alias Fantan la Tulipe et tant d’autres personnages qu’il a immortalisés sur la pellicule et dans nos mémoires.


-Le dernier hiver du Cid, Jérôme Garcin. Folio/ Gallimard, 200 p., 7, 50 €

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