Les lecteurs qui n'ont pas dans leur bibliothèque les livres de Céline et ceux de Jankélévitch estimeront que GMC est un réactionnaire. Les autres rangeront son livre près des ouvrages de Berl et de B. Frank. Un trio d'esprit libre.

Voici la radioscopie de la France du premier quart du XXIe siècle. Dans un récit enlevé, Gilles Martin-Chauffier livre sa vision du pays de Lumières qui ne s'use que si l'on s'en sert mal. S’inspirant des Lettres persanes de Montesquieu, Gilles Martin-Chauffier livre un pamphlet ciselé où souffle l’esprit français, digne du Michel Audiard de Vive la France et de La France irréelle, d'Emmanuel Berl, l'un des livres de chevet de Bernard Frank. Mieux que les statisticiens et autres sociologues alambiqués, son récit diffuse un humour omniprésent servi par une série d’analyses toutes pertinentes, voire féroces car d’une justesse à la précision de laser. Exemple : comment peut-on constater sans cesse l’islamisation de la France et se ruer dans les loges du PSG vendu au Qatar ? Les trente courts chapitres dressent un portrait au vitriol de la France actuelle, celle de Macron, l'énarque qui rime avec arnaque : « Quel pays ! Tout le monde déteste tout le monde ! » L’analyste épistolier Hassan passe au peigne fin la période 2023-2024 avec un regard affuté qui ne fait pas de cadeaux : pour ce diplomate les Français se « voient comme une URSS qui aurait réussi ». Les dits républicains se passionnent pour la royauté anglaise. Les mannequins qui incarnent la classe à la française ressemblent à des squelettes. Notre pays a « besoin de se mêler de ce qui ne le regarde pas » dit le narrateur à propos des ingérences en politique extérieure. Le président Macron est décrit tel un « roi asexué » toujours aux premières loges des enterrements de vedettes du showbiz où il se prend pour André Malraux lors de l’hommage à Jean Moulin. Seul feu Alain Delon est parvenu à écarter « la pipelette » des micros et caméras du service public à sa disposition permanente. Gesticulant sans cesse, le leader d’En Marche est en fait un as du surplace. Les portraits font mouche : Depardieu ? « Un grand vin servi dans un gobelet ». Luchini ? « Mélange du jeune Voltaire et de Cocteau ». Rachida Dati ? « Ses poignées de mains sont brûlantes comme la glace ». Médiapart ? « Le tabloïd de l’intelligentsia ». Pour résumer l’ensemble : en France, la morale qui avait la souplesse d’un ruban, sous Colette, a désormais la raideur d’une laisse. Moins un livre de réactionnaire qu’une œuvre à réaction, tels les puissants avions de chasse qui tracent leur chemin. On lit tout d’une traite, ça rue dans les brancards. Il y a du répondant de partout. Une littérature vivifiante. Un pamphlétaire qui en a sous le capot. Cela carbure et ventile, évidemment "façon puzzle".
-Les lettres qataries, Gilles Martin-Chauffier. Albin Michel, 222 p., 19, 90 €
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