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Le vrai tombeau de Laura Antonelli

Le nouveau livre de Philippe Brunel nous restitue la face cachée de la star mal-aimée

Qui a vu l’une des dernières photos de Laura Antonelli peut se réjouir de n’avoir pas vu vieillir Marilyn Monroe. Rien de misogyne dans cette remarque, on peux dire la même chose à propos de James Dean, fossilisé dans sa jeunesse éternelle, face aux pachydermes Orson Welles et Marlon Brando qui ont fini comme deux Pléiade (s) ressorties d’une baignoire. Qu’est-il arrivé à la comédienne italienne, «la plus belle femme du monde» selon Luchino Visconti ? «La vie et je suis vieux », disait Louis Aragon. Le livre s’appelle Laura Antonelli n’existe plus mais quand j’ai commencé la lecture, je me suis demandé : « Vit-elle toujours ? » Doit-on dire : Vit-elle encore ? Je n’ai pas regardé Wikipédia. Je me suis engouffré dans l’univers de Philippe Brunel sans rien savoir sur la comédienne à part qu’elle a joué dans des films où elle donnait une image porno soft, qu’elle a été de l’aventure du dernier film de Visconti (L’Innocent, 1976) et qu’elle a été avec Jean-Paul Belmondo - fantomatique dans l’ouvrage- tireur d’élite et pas que sur écran. Dès les premières pages du livre, un lecteur de Modiano ne sera pas dépaysé en compagnie du narrateur, mélange de journaliste et de détective, qui recherche Laura Antonelli, clone spectral de Dora Bruder, héroïne du roman de Modiano (1997), sauf que l’actrice n’est pas une lointaine inconnue dans ce prologue romanesque. Retirée des écrans, la principale concernée disait d’elle : «Laissez-moi, n’insistez pas, Laura Antonelli n’existe plus ! » Lisant cela, m’est revenu qu’elle est passée dans les mains de la chirurgie esthétique qui l’a défigurée. Une fatale allergie l’a rendue recluse. Je n’en savais pas plus. Ce livre contient une mélancolie qui sert le cœur comme les meilleurs livres de Drieu La Rochelle, écrivain interdit de chronique littéraire depuis son suicide qui pourtant a servi d’excuse à ses erreurs démentielles. «Le passé s’épaissit, s’imprègne en nous comme un mauvais parfum». Rien que cet aphorisme justifie l’existence de ce livre. Autre grâce d’écriture : «Elle avait perdu la face». Ce genre de trouvailles ne surgit que lorsqu’on est 100 % en osmose avec ce que l’on écrit. Laura Antonelli ne saura jamais que Philippe Brunel est son biographe plus que parfait. Le romancier souligne que la comédienne aurait eu une meilleure filmographie si elle avait été la maitresse, disons la compagne d’un grand cinéaste ou producteur, imitant ainsi nombre de ses consoeurs. Laura Antonelli a souvent tourné des scènes très lascives qui ont servi la cause des « femmes affranchies des carcans moraux de l’époque ». Elle ne devait pas connaître le mot de Gauguin : «Il n’y a pas de femmes nues, il n’y a que des femmes déshabillées». Ses metteurs… en sein, non plus. La comédienne a tourné une cinquantaine de films, entre 1965 et 1991, soit vingt-six, notamment sous la direction de Chabrol, Dino Risi, Labro, Scola, Mauro Bolognini, Luigi Comencini et donc Visconti. L’Italienne reste l’incarnation de la prémonition de Madame de Staël : « La gloire est le deuil éclatant du bonheur ». Personne n’a su l’aimer pour ce qu’elle était et non pour ce qu’elle représentait. B.M -Laura Antonelli n’existe plus, Philippe Brunel. Grasset, 195 p., 18 €

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