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Alfred Nakache revient à la surface grâce à Pierre Assouline


On se demande ce que faisaient les journalistes sous Mitterrand quand on regarde la date de mort d’Alfred Nakache (1915-1983). A part Philippe Brunel, en 1992, personne ou presque ne s’intéressait au champion. Au lieu de décorer n’importe qui, le ministère des sports aurait dû honorer l’un des plus grands nageurs de l’Histoire. A présent c’est le contraire, on entend parler beaucoup de lui : articles, livres, pièce, documentaires... Demain film ? Pierre Assouline arrive en bout de ligne mais cela ne signifie pas qu’il a pris la gloire posthume en marche-de son vivant le champion fut aimé à sa juste valeur. Depuis des années il pensait et travaillait à faire un livre sur Nakache qui a beaucoup de points commun avec lui. Cela n’a rien à voir avec Daniel Pennac qui tout à coup réalise que Maradona était un grand artiste parce que des gens pleurent à sa mort. Dino Buzzati lors des obsèques des joueurs du Torino disparus en avion (1949) a dit qu’une carlingue pleine de savants ou d’écrivains ne ferait pas pleurer le peuple. A quand Pelé par BHL ? ou Garrincha par Houellebecq.

Pierre Assouline agit toujours de la même façon : quand il est frappé par quelque chose qui devient obsédant, il en fait un ouvrage pour comprendre. La liste est longue : Le dernier des Camondo (1997), Lutetia (2005), Sigmaringen (2014)… Souvent sous la forme biographique, parfois cela devient romanesque, cette fois il s’agit d’un récit biographique. La vie de Nakache est suffisamment incroyable pour n’avoir pas besoin d’être romancée, question de respect pour ce parcours qui fut de soixante-huit ans alors qu’il aurait pu être abrégé puisque sa fille et sa femme sont mortes en camp de concentration d’où il est ressorti vivant. Il se bat toujours, dans l’eau ou hors de l’eau. Juif natif en Algérie, à Constantine, recordman du monde (200 m papillon 1941) , Nakache a défendu la France aux J.O nazis de Berlin (1936) avant d’être déporté pour faits de résistance. De manière incroyable, la France de Pétain lui ôte la nationalité française puis Vichy, par le biais du tennisman Jean Borotra, « le Basque bondissant », monsieur sport sous la collaboration, le montre en exemple. Pétain le félicite même, ce qui en dit long sur les pantalonnades des politiciens, même dans les périodes tragiques.

En 1948, Nakache est encore sur le devant de la scène, participant aux J.O de Londres, les premiers de l’après-guerre Dans tout le livre, rôde la présence néfaste de Jacques Cartonnet, qui est peut-être celui qui a balancé Nakache. Un nageur milicien champion de France de l’antisémitisme et de la collaboration. Pierre Assouline, le met en ligne de mire de son héros, ce qui donne une dimension de polar à sa narration, non pas modianesque mais assoulinesque. On éprouve une sympathie constante pour Nakache, superbe athlète. Un grand Monsieur comme on dit dans le Midi. Sur toutes les photos qui ressortent de lui, on voit son beau sourire, sa joie de vivre qui éclate, intacte, figée dans le temps. Entre 1935 et 1952, il collectionna les titres de Champion de France, en nage libre, papillon et en relais 4 X 200 nage libre.

D’aucuns pensent que la natation est un sport débile qui consiste à aller d’un boc de ciment à un autre. Sauf que Nakache, lui, fut un boxeur. Un combattant de l’eau, dans une période de feu. La piscine fut sa bouée de secours. Il se battait dans un bain de larmes par amour pour sa fille et sa femme. Il se remaria. Pas du genre à abandonner quand il doit traverser le fleuve de l’existence, quoiqu’il arrive. Le sourire pour ne pas pleurer. En public.


-Le nageur, Pierre Assouline (Gallimard, 252 p., 20 €)

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