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Bernard Pivot (1935-2024) rate PSG-Dortmund

Un temps fort de la télé. Simenon face à Pivot qui avait fait aussi une série: Ah! vous écrivez... Dans le face à face, il était encore meilleur qu'au milieu de ses invités. La grande qualité de Pivot: il n'était pas estampillé politiquement. A la différence de tous les bien-pensants qui inondent es écrans.

Quand Coluche est mort, Michel Butel a titré en une de L'autre Journal: Coluche rate France-Brésil. On était juste avant le 1/4 de finale de la Coupe du monde 1986. Le titre était sublime, sauf que Coluche n'aimait pas le football. Le lendemain de la tragédie du Heysel il a dit au JT présenté par Bruno Masure que les supporters tués cela faisait des cons en moins. Bernard Pivot, lui, était un fin connaisseur du ballon rond. Il disait qu'il y avait des phases de jeu comme des phrases de jeu. Il avait la particularité d'être un natif de Lyon qui supporte Saint-Etienne. Sacrée bizarrerie.

A la télé, ce fut Monsieur livres. Avant Apostrophes, il y a eu Ouvrez les guillemets, puis Bouillon de culture et Double je. Avant lui, le duo Desgraupes-Dumayet incarnèrent la littérature. On peut citer aussi Claude Santelli, Michel Polac et Max-Pol Fouchet.

Bernard Pivot était sympathique et jamais vulgaire ni grossier. Il venait de la presse écrite, là où les mots dominent l'image.

Il savait composer un plateau d'invités comme on présente un plateau de fruits de mer.

La star c'était lui, puisqu'il était l'invité permanent. Pas dupe, il disait que s'il se promenait sur les Champs Elysées avec Julien Green c'est lui qui signait des autographes

Pivot avait tant d'audience qu'il pouvait transformer Mme Michu en best-seller.

Il a aussi présenté des écrivains meilleurs à l'oral qu'à l'écrit. Ensuite, les lecteurs ramenaient l'ouvrage pour l'échanger contre un Tintin, par exemple.

Il savait interviewer comme Larry King qui disait: "Je ne lis pas les livres que je présente car les téléspectateurs ne l'ont pas lu non plus..." L'Américain disait cela pour se mettre à la portée de tous. Pivot agissait de même, mais lui en ayant lu le livre.

Bernard Pivot a inventé le zapping mais au lieu de zapper d'une chaine à l'autre, il le faisait avec ses invités. S'il sentait qu'un interlocuteur devenait inaudible, il l'interrompait immédiatement. Intelligent, sensible, pas de tout doute, il l'était. Solide culture littéraire, sans jamais être pédant. A mille lieux des beaux parleurs qui écrasent notre cerveau avec leur savoir dépourvu d'humanité.

Un grand amoureux de la vie. Sensualité, vigne et sport. Beauf ? Non vivant.

Il avait ses détracteurs: tous ceux qu'il n'avait pas invités. Ou des ronchons.

Je n'ai pas fait Apostrophes car il a invité Mireille Berl à ma place. Ce fut un fiasco car Mireille n'a jamais lu un seul livre de son mari, Emmanuel Berl. Présent sur le plateau, Alain Rémond a parlé à ma place d'un Téléspectateur engagé. Moi, j'ai refusé de faire tapisserie dans le public. J'étais le concepteur à 100 % du livre, pas l'auteur car il s'agit d'un recueil d'articles. Ne me connaissant pas, Pivot n'a pas eu la curiosité de me connaître. Dommage on a tant de points communs: le prénom, fils d'épicier, la littérature, le football, le Figaro Littéraire, Lire, le JDD, papa de filles.

Quand Apostrophes cessa, l'un de mes éditeurs dit: "Ouf ! maintenant tous les livres sont à égalité". Il faut se souvenir que les libraires affichaient: "Les livres d'Apostrophes cette semaine". Pour vendre, il fallait plus faire "un bon Pivot" qu'écrire un ouvrage exceptionnel.

Parfois, il invitait des gens sans vérifier si leurs souvenirs étaient exactes ou inventés, et cela n'avait rien à voir avec la fiction qui permet tout. Pivot faisait la pluie et le beau temps chez les éditeurs, selon ses coups de coeur.

Quand il a tiré sa révérence, il a mis une veste à paillettes pour dire : après moi vous allez voir ce que vous allez voir. Bien vu ! La littérature a disparu des écrans. On ne voit plus que des produits, le plus souvent bas de gamme. Il n'y a qu'à voir Quelle époque ! où l'audimat commande tout.

Pour expliquer sa retraite, il a dit: "J'aime moins les nouveaux écrivains, ce qu'il écrive..." Alors pourquoi les avoir invités quand même ? Il a laissé un histrion cracher sur la tombe de Camus.

Quand Pascal Sevran a été invité par Pivot, il m'a dit :" Pivot m'a invité parce que j'ai beaucoup vendu..."

Au temps de l'âge d'or de Pivot, il y avait encore des géants des lettres.

A ce propos, Beckett, Char, Cioran et Gracq n'ont jamais "fait Pivot".

Fanny Ardant à parler de Kundera chez Pivot à la place de Kundera. Soit du people haut de gamme.

Pivot a servi la littérature. Il l'a rendue plus accessible. Même si la littérature est l'inverse de la télévision. Un livre est un plaisir solitaire, à écrire et à lire.

La télévision est un spectacle: Pivot le savait très bien.

Il savait qui était qui. Sollers n'avait rien avoir avec Jean Tardieu qui a refusé une invitation car ce vendredi là il avait un repas avec son frère. Rendez-vous différé quand d'aucuns auraient tué père et mère pour une séquence de m'as-tu-vu.

Pivot a construit un personnage. Quant à l'homme privé, seuls ses proches l'ont connu. Moi je n'ai vu qu'un homme cathodique.

Il a choisi ensuite l'académie Goncourt plus ancrée dans le présent que le quai Conti ramassis d'emplumés parmi lesquels des auteurs de trois ou quatre livres illisibles.

Marcel Jullian lui a permis de faire l'émission qu'il voulait faire.

Bernard Pivot avait offert des livres aux joueurs de l'équipe de France.

De la préhistoire aujourd'hui.

Il est mort la veille de la 1/2 retour de C1 du PSG au Parc des Princes.

Il va manquer un téléspectateur de marque.

Jacques Chancel, autre as des interviews, demandait: "Et Dieu dans tout ça..." Ou plutôt, on lui faisait dire ça, disait-il.

Bernard Pivot, lui, questionnait: "Si Dieu existe, comment voulez-vous qu'il vous accueille ?"

J'imagine le face à face: "Bernard, retourne d'où tu viens..."

Il est certain que Pivot aurait donné gros pour tout revivre.



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